De Ely Dagher
Sortie le 13 avril 2022

Après une longue absence, Jana, une jeune femme, revient soudainement à Beyrouth. Elle renoue avec la vie familière, mais désormais étrange, qu’elle avait quittée.
Après avoir obtenu la palme d’or en 2015 pour son court métrage Wave 98’, le cinéaste libanais Ely Dagher revient avec un premier long-métrage. Nous y suivons Jana (Manal Issa), une jeune femme qui revient soudainement habiter chez ses parents à Beyrouth après un mystérieux séjour d’un an à Paris dont elle tait le contenu. Solitaire, mutique et très critique, Jana retrouve sa chambre d’ado et y vit volontairement recluse dans le noir. Elle n’informe personne de son retour et constate, grisée, que la vie ici a changé pendant son absence. Cachée derrière de nouvelles constructions de bâtiments, impossible à présent de voir la mer depuis le balcon. Jana s’en plaint, elle qui ne voulait pas pourrir toute sa vie au Liban comme son père, sans emploi, et sa mère qui joint difficilement les deux bouts. Alors qu’elle songe à retourner à Paris pour reprendre ses études inachevées, son petit ami résigné Adam (Roger Azar) l’en dissuade, ce serait une perte de temps. Lui vit dans un immense building en bord de mer, un énième bâtiment fantôme aux façades vitrées que la caméra effleure longuement. Quand il ne déambule pas dans les rues désertes de cette ville qu’on croirait morte, le couple fait la fête, sans doute la première étape pour fuir cette stagnation oppressante sans véritable futur possible. À travers quelques plans contemplatifs dans des intérieurs délabrés, et des travellings en taxi dans la capitale pluvieuse, force est de constater que nous partageons le même sentiment désabusé que sa protagoniste.

Pudeur et distance
Il y a des films où les personnages nous émeuvent au premier regard, et où l’empathie naît dès l’incident déclencheur propulsant le.a protagoniste à s’armer de courage et d’effort pour surmonter tous les obstacles qui lui barrent la route. Ici, Jana, l’héroïne de ce slice of life est quelque peu déroutante, car à peine arrivée auprès de sa famille, on sent qu’elle souhaite déjà repartir, sans vraiment comprendre pourquoi. Elle est en effet aussi insondable que la façade des nouveaux immeubles qui barricadent la vue jadis imprenable. Avec sa moue boudeuse et le mystère qui l’habite, Jana m’a malheureusement trop tenue à distance pour que je partage le mal qui la ronge. La ville en revanche, filmée telle un terrain vague sans âme qui vive, catalyse une forme de tension latente. Pour rappel, le tournage de ce film a eu lieu avant la double explosion survenue en août 2020 qui a décimé le port de Beyrouth et participé davantage à la crise sociale touchant le pays.

Revenir et retrouver ceux qui sont restés
Le montage de Face à la mer, en sorte de boucle infinie, crée un profond sentiment de mélancolie et de lente asphyxie. La protagoniste arrive dans le récit et dans sa ville natale par un taxi, et elle tentera de s’en extraire de la même façon. La comparaison peut être étonnante, mais en découvrant le film, j’ai eu la même sensation de monde clôt qui continue de tourner avec ou sans vous, comme lorsqu’on se met à suivre une voiture random dans un jeu vidéo tel que GTA. Le titre trouve ainsi tout son sens : la mer reste là, qu’importe les événements. Jana elle est à l’image des vagues : un va et vient fluctuant mais qui ne change pas, ou trop peu.