MANO DE OBRA

de DAVID ZONANA
Sortie le 19 août 2020

Francisco voit son frère mourir d’un accident sur le chantier où ils travaillaient ensemble. N‘obtenant aucun dédommagement du propriétaire, Francisco invente une façon inédite de se venger de lui.

Note : 3.5 sur 5.

La villa du malheur

Dans la cour intérieure d’une somptueuse villa en construction à Mexico City, des ouvriers s’échinent sous un soleil de plomb. Soudain, un corps tombe lourdement du rooftop et s’écrase au sol. En moins d’une minute, le drame prend place, ôte la vie du frère de Francisco (Luis Alberti), le protagoniste principal, et gagne lentement du terrain. Après un enterrement en petit comité, constitué principalement de collègues de travail, le chantier reprend à une cadence soutenue, et le sort continue de s’acharner. Le certificat de décès, faussé par le riche propriétaire de la demeure, ne permet ni à Francisco, ni à sa veuve, enceinte de plusieurs mois et qui finira par succomber, d’être dédommagés de cette chute accidentelle. L’incertitude de recevoir intégralement sa paye hebdomadaire, et les pluies diluviennes qui inondent fréquemment son petit abri de taule, amènent Francisco à tenter de profiter d’une faille dans la loi, véritable aubaine pour amorcer un geste audacieux.

            Un point de non retour

S’il semble assez solide pour encaisser cette tragédie sans se plaindre, Francisco refuse d’être asservi  à sa simple condition d’ouvrier (de main d’œuvre), et d’être assigné à vie en bas de l’échelle sociale. Suite à la mystérieuse mort du propriétaire de la villa qui ne laisse pas d’héritier, et avec qui la tentative d’un arrangement avait été vaine, Francisco s’immisce une première nuit dans la maison déserte, avant de l’occuper. Il a ainsi la conviction de rétablir une certaine justice.

            Toda la smala

Comme la maison est inachevée, à peine finie d’être peinte, et pourtant déjà un peu meublée, Francisco y voit les conditions idéales pour proposer une cohabitation à quelques uns de ses collègues et amis. Ensemble, ils pourraient réunir les parts nécessaires pour acquérir le certificat de propriété, et y demeurer en toute légalité. Mais voilà, les nouveaux occupants affluent : familles nombreuses, personnes âgées et mère estropiée, une vraie cour des miracles. Ces locataires de fortune ne peuvent donc pas garantir leur participation dans les temps impartis, ce qui agace ce Robin des bois des temps modernes. Lui qui était prédisposé à l’idée de partager généreusement une opportunité, adopte à son tour le comportement qu’il dénonçait jusqu’alors. En s’appropriant d’emblée la plus grande chambre, et en s’octroyant un statut supérieur au sein de cette vie en collectivité, Francisco devient de plus en plus détestable, et les occupants se rebiffent lentement contre lui.

            La caméra pour seul témoin

Avec une mise en scène subtile, due notamment à de longs plans fixes, David Zonana laisse au spectateur le soin de se forger sa propre opinion quant à l’évolution des rapports humains au cœur de cette communauté de locataires. Tourné quasiment en huis clos, les habitants incarnent les travers d’une société avide de consommation, où le désir réside dans le fait de posséder. Est-ce illusoire ? Au sein de ce microcosme viril, la caméra interroge notre propension à l’empathie, ou au contraire au rejet et au dégoût de cette classe sociale condamnée à être « inférieure ».

            Cercle vicieux

La possibilité d’accéder à la propriété de cette villa, provoque instantanément une perturbation des valeurs fraternelles entre ces différents protagonistes. Si l’on éprouvait au début du récit de la sympathie à l’égard de Francisco, on en vient à le détester de plonger dans les mêmes travers que feu le propriétaire, et l’on dénigre également les autres occupants qui fourmillent et s’embrouillent pour des broutilles. Au croisement entre Parasite de Bong Joon-Ho et certains films de Ken Loach, Mano de obra met en scène, sans manichéisme, la prise de pouvoir des plus démunis confrontés à la corruption, où le sentiment de justice est relatif.

Face à ce premier film, on ne peut qu’être frappé par sa maturité quant au traitement de nos émotions, et à la juste mesure du pathos qui imprègne certaines scènes. Il me faut également souligner que tous les comédiens sont des acteurs non professionnels qui incarnent avec une aisance remarquable leurs alter ego. Luis Alberti (El lado oscuro de la luz, La Caridad, The Similars) qui interprète Francisco, maîtrise également habilement la dualité de son personnage.

Sans être un traité  sociologique, Mano de obra rend compte d’une situation alarmante et universelle qui se perpétue.

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